L'OdysséeHomère
Muse, dis-moi l'homme inventif qui erra si longtemps,
Lorsqu'il eut renversé les murs de la Sainte Ilion,
Qui visita bien des cités, connut bien des usages,
Et eut à endurer bien des souffrances sur les mers,
Tandis qu'il luttait pour sa vie et le retour des siens.
De ce livre fondateur - le récit du retour d'Ulysse à Ithaque après la guerre de Troie - nombre de traductions ont été données.
Celle de Frédéric Mugler, restant la plus fidèle possible au texte original, tente de lui rendre aussi sa puissance lyrique et incantatoire : la poésie d'Homère était dite, ou chantée.
Or le choix du vers de quatorze pieds, dont la longueur permet - au fil du texte - de restituer l'ampleur du poème tout entier, rend au chant son jaillissement et ses harmoniques secrètes.Bon, j'ai hésité longtemps entre la Bibliothèque et les Jardins pour poster ce sujet sur Homère, mais c'est finalement la partie "poésie" qui l'a emporté, puisque ses épopées sont avant tout écrites en vers, et qu'il est même considéré comme Le Poète avec deux majuscules. Mille pardons si j'ai encore gaffé, Majestés
Homère en poésie, donc, parce que le récit du retour d'Ulysse n'est absolument pas un roman, même pas romanesque, en ce qu'il s'agit avant tout d'un chant. On y voit tous les artifices, toutes les ficelles de l'épopée qui apparaissent clairement sans aucun souci de linéarité narrative, contrairement à la prose romanesque.
L'histoire commence sur l'Olympe, où les dieux évoquent le destin funeste d'Agamemnon qui vient de se faire tuer par Egisthe et Clytemnestre, et de fil en aiguille, en viennent à parler des autres héros Grecs qui ont combattu à Troie. C'est Ulysse qui arrive sur le tapis : il est retenu de force depuis sept ans chez la nymphe Calypso, et les dieux vont enfin se décider à le sortir de là, parce que c'est son destin ( les dieux sont toujours assez mous du genou, dans les épopées homériques ), et qu'il doit maintenant rentrer à Ithaque.
Le récit commence donc à peu près à la fin de cette épopée, puisque Ulysse est sur le point de rentrer chez lui. Comme je le disais, il n'y a absolument aucune linéarité : Calypso va remettre Ulysse à l'eau, il va dériver jusque les Phéaciens, et seulement arrivé là, va leur raconter toute son histoire, en remontant jusqu'au départ de Troie. Et même, entre le moment où les dieux viennent tirer l'oreille à Calypso et celui où elle renvoie Ulysse, le récit aura été entrecoupé des aventures de Télémaque, le fils d'Ulysse, qui doit se protéger du complots des prétendants ( un bataillon de piques-assiettes qui courtisent sa mère Pénélope et passent leur temps à dilapider sa fortune en banquets fastueux ) et entreprend un voyage pour savoir des nouvelles de son père : il se rend donc chez Nestor et Ménélas, qui vont à leur tour lui raconter des choses s'étant passées pendant la guerre de Troie.
Mais malgré le capharnaüm chronologique, le récit est clair et relativement aisé à suivre, pour peu qu'on s'habitue au procédé récurrent qui consiste à attribuer plusieurs noms aux personnages ou aux lieux, quand ils ne sont pas désignés par de simples périphrases, ce qui fait qu'on peut avoir du mal à s'y retrouver au début. Mais les choses restent simples, puisque l'épopée s'organise autour de thèmes clés qui reviennent sans arrêt, comme les oracles non respectés et les lamentations des protagonistes ( ça chouine sans arrêt ! ) : résultat, on sait ce qui va se passer à l'avance, aussi on n'a plus qu'à suivre le fil.
Il y a également pas mal de passages drôles, même si beaucoup moins que dans
l'Iliade, notamment grâce aux dieux qui ont le chic pour s'emmêler les pinceaux tous seuls. Par exemple, Ulysse parvient toujours à rouler les divinités : il arnaque le cyclope et Circé, qui une fois vaincus s'empressent de s'exclamer "Ah cela devait arriver, et ce n'est pas de ma faute : un devin m'avait jadis prédit que le fils de Laerte, l'industrieux Ulysse, me terrasserait en faisant ceci ou cela...".
Tout est bien qui finit bien cependant, puisque les Phéaciens permettent à Ulysse de rentrer chez lui, où il se déguisera en mendiant pour mieux châtier les prétendants. Un des meilleurs moment du livre est peut-être quand il se fait reconnaître de Télémaque, chez le porcher, et où ils passent bien deux pages à pleurer comme des madeleines dans les bras l'un de l'autre
Un beau texte lyrique, extraordinairement éternel, puisqu'il a tout de même traversé deux millénaires et demi sans se démoder, et que d'une certaine manière, il est toujours d'actualité : il peint l'absurdité de l'existence humaine, ballottée par le hasard ( incarné par une bande de dieux feignasses et plus humains que divins ) et victime de ses propres actes.