La véritable histoire du dernier roi socialisteRoy Lewis
Imaginons : en 1848, une révolution socialiste a imposé au monde civilisé un paradis égalitaire où les citoyens vivent depuis à l'abri des dangers d'une industrialisation débridée et des progrès corrupteurs. Dans certains pays comme l'Angleterre, le nouveau régime n'a cependant pas renoncé à... la royauté. C'est le destin de ces étranges souverains, dont le règne devait durer un siècle -jusqu'à la contre-révolution de 1949 qui signa l'avènement du progrès technique et de la consommation à outrance-, que raconte ici le dernier monarque socialiste, George Akbar Ie, roi d'Angleterre et empereur des Indes à la verve irrésistible.
Une fable philosophique pleine d'humour, d'humanisme et de sagacité, qui examine les mérites et les désastres comparés des utopies communisantes, du progrès et du libéralisme effréné. Sans hésiter ! J'ai terminé ce livre ce matin et j'en ai encore mal aux côtes d'avoir tant ri et souri. Un vrai petit bijou ! Toutes les uchronies ou "utopies" auxquelles j'avais déjà touché étaient pour la plupart assez horrifiques (
1984,
Fatherland, tout le théatre d'Edward Bond, V pour Vendetta,etc... ), mais celle-ci... Ah, celle-ci est à mourir de rire ! Mais également très juste, très vrai, avec quelques dialogues et situations qui vous assènent des vérités bien senties sur votre monde, vérités que vous n'osiez pas forcément regarder en face.
Le point de vue adopté est particulièrement original, puisque "Georgie" n'a absolument rien d'un roi tel qu'on se l'imagine ! Eduqué par le régime socialiste coopératif dans l'idée qu'un roi, ça n'a rien de spécial, sinon un titre plus long que les autres, on assiste à sa scolarité, ses progrès, ses amitiés.... Le roi d'Angleterre et Grand Mogol va au collège, parcoure les campagnes à vélo crotté jusqu'aux genoux, loupe son tram, se fait jeter par les filles, chante l
'Internationale et se fait chahuter par ses potes qui lui donnent du "camarade roi-empereur" en se foutant de sa poire
Et à côté de ça, si il est "spécial", puisqu'il est le symbole qui garantit l'union entre la Grande-Bretagne et l'Empire des Indes ( la "Double Monarchie" dont il détient le titre, héritier à la fois de la lignée royale anglaise et de la dynastie mogole Indienne ) mais aussi du régime socialiste. Il est le "sacrifice humain à une société socialiste totalement libre et égalitaire" : en gros, tous les hommes sont égaux, sauf lui.
Mais outre le cachet très original du narrateur, la fable est vraiment très réussie : de paradoxe en paradoxe ( ex : pour assurer la stabilité du socialisme, le monde a freiné son évolution technique au XIXe siècle, et on vit encore en 1940 comme en 1850, et paradoxalement la religion a prospéré là où "ici", ce sont les valeurs industrielles qui ont remplacé la foi. Pas de "Dieu est mort" dans ce monde là ! ), de drôleries en énormités ( Le monde entier est socialiste, les nations ont été abolies ou presque, à l'exception de la Chine/Corée/Japon/Asie de l'Est, qui ont gardé leurs régimes fermés et impériaux... Résultat, on se retrouve avec un Occident socialiste communisant et un Orient féodal et impérialiste
)... Bref, un monde complètement inversé, où tout à suivi une évolution différente et "contraire"... Mais qui dans le fond, reste notre monde, avec les mêmes hommes et leurs mêmes paradoxes. Tout le monde est à égalité, tout le monde est libre ? Certes ! Mais l'Institution chargée de gérer les inventions et les brevets pour empêcher l'expansion fatale de certaines technologies jugées "dangereuses" pour le régime garde en secrets tous les bienfaits... Ne permet pas la diffusion de médicaments, d'appareils et autres, qui permettrait de sauver des vies et d'améliorer grandement les conditions du quotidien !
Alors la contestation naît, les mouvements clandestins libéraux et capitalistes s'organisent... Popek, leur chef extrêmiste d'un temps, est même enfermé à l'asile avec "un certain Hitler, qui lui voulait carrément déclarer la guerre aux Turcs !"
Bref, une uchronie très réussie, qui ne se terminera pas forcément bien, mais pas forcément mal non plus... Avec un monde qui plonge dans le libéralisme et "redevient" celui que nous connaissons aujourd'hui. Un portrait atypique et plein de sagesse, et vraiment très très drôle
Et qui en plus se lit tout seul